Pourquoi pas !

La vieille comédie opposant Serrault au pauvre Galabru, médecin acheteur bien peu chanceux et au mauvais diagnostic... satire toujours amusante que chacun pourra voir ou revoir avec plaisir, illustre avec humour ce contrat, effectivement sorte de « pari » sur la durée de vie du vendeur, qui je pense a encore de longues années devant lui et mérite d’être rappelé et explicité.

                       

Il permet de vendre un bien à un acheteur (nommé le débit-rentier) qui s’engage à verser, à termes périodiques, au vendeur (le crédit-rentier) une rente viagère, c’est-à-dire la vie durant du vendeur (ou toute autre personne choisie par lui) avec souvent en outre, au moment de la signature du contrat, versement d’un capital plus ou moins important appelé « bouquet ». Le vendeur échange ainsi son bien immobilier, contre une rente qui devra lui être versée jusqu’à sa mort, s’assurant un complément de revenus pour ses vieux jours.

                       

Le plus souvent, les viagers sont vendus « occupés » c’est-à-dire que le vendeur reste dans les lieux.

                       

L’acheteur paye son prix en deux parties :
- Un bouquet versé au moment de la signature du contrat.
- la rente viagère dont par principe on ne connait pas la durée.


Personne ne sait à l’avance le montant total qui sera versé.
Souvent, mais à ce sujet il y a une grande liberté contractuelle, le bouquet approche le tiers du prix. Le pourcentage peut différer avec l’âge du vendeur, et on peut même prévoir, en modi ant le montant de la rente viagère, que la durée de l’occupation par le vendeur sera limitée dans le temps.
On peut en effet tout à fait convenir dans le contrat d’une date butoir de la libération du logement par le vendeur, celui-ci partant alors en maison de retraite et continuant de recevoir la rente.
Il existe également même s’il est rare en pratique, le viager « libre » : celui qui achète peut disposer du bien immédiatement et verse une rente viagère au crédit rentier dont le montant est alors plus élevé puisque précisément le vendeur n’occupe pas le bien.
Cela se rencontre pour des vendeurs qui possèdent une résidence secondaire et pour ceux qui sont déjà en maison de retraite. 

                                                           
Vu l’augmentation de la durée de l’espérance de vie, le coût des maisons de retraite, il est fort possible que ce type de contrat dans l’avenir connaisse un nouveau souffle.
Certains pourraient être tentés... (les autres bien sûr uniquement...) d’abuser de la faiblesse d’une vieille personne et d’obtenir la signature d’un tel contrat à un prix très attractif, ou connaissant la mort imminente d’un proche de se précipiter à contracter.


Il faut rester vigilant car si la bonne affaire est effectivement possible, les héritiers du crédit rentier peuvent être tentés de contester le contrat pour le voir annuler et récupérer dans la succession le bien de leur parent décédé.                       

Des précautions sont donc à prendre, comme dans tous contrats, et consulter un professionnel compétent est essentiel avant de s’engager. Acheter à très bon prix mais subir des années de procédure, à l’issue incertaine, n’est finalement pas forcément une bonne affaire et autant s’assurer au préalable de la validité du contrat en consultant par exemple son avocat, qui connait précisément la jurisprudence.

                       

Les écueils à éviter pour s’assurer de la validité du contrat, sont au nombre de 3 :
En premier lieu les héritiers, ou un tuteur pourraient être tentés de demander la nullité du contrat pour insanité d’esprit en se fondant sur l’article 489 du Code Civil, désormais article 414-1 du Code Civil puisque « pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit. » C’est toutefois à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l’existence d’un trouble mental au moment de l’acte.

                       

De son vivant seul l’intéressé peut engager cette action et après sa mort, seuls ses héritiers peuvent le faire mais dans les cas suivants seulement :
- si l’acte porte en lui-même la preuve d’un trouble mental              

- s’il a été fait alors que l’intéressé était placé sous sauvegarde de justice
- si une action a été introduite avant son décès aux  ns d’ouverture d’une curatelle ou d’une tutelle, ou aux ns d’habilitation familiale ou si effet a été donné au mandat de protection future.

                       

D’où l’intérêt de s’assurer en consultant un professionnel en amont qu’au moment de la signature de l’acte aucune mesure de protection de la personne du vendeur n’est engagée.                       

En second lieu les héritiers pourraient vouloir soutenir la nullité du contrat pour absence d’aléa, c’est-à-dire essayer de démontrer que l’acheteur avait connais- sance du décès imminent de la personne à qui il allait verser une rente viagère.

                       

A ce sujet, même si cela parait évident, si le jour de la signature du contrat la personne décède, le contrat n’a pas d’effet.
L’article 1975 du Code Civil dispose également que le contrat n’a pas d’effet s’il concerne une personne atteinte d’une maladie dont elle va décéder dans les 20 jours de la date du contrat.

                       

La jurisprudence a très rapidement appliqué cet article à des cas où la personne décédait même après ce délai de 20 jours suite à la conclusion de la vente. Mais il appartient alors aux héritiers de démontrer que l’acheteur savait au jour de la vente, que le décès du vendeur était imminent, et cette démonstration n’est pas évidente.

                       

La jurisprudence exige la preuve d’une altération grave et visible de l’état général de la personne qui empire rapidement de manière à ce qu’on puisse en déduire qu’à la date de l’acte, les acheteurs savaient qu’une issue fatale était prévisible à assez brève échéance.

                       

Enfin, il reste un moyen lié à l’absence de prix, ou «vileté» du prix:
L’article 1973 du Code Civil prévoit que la rente viagère peut être constituée « au taux qu’il plait aux parties contractantes de  xer». A priori donc une totale liberté dans la  xation tant du bouquet que de la rente viagère. Attention toutefois puisque l’acte peut être annulé en cas de prix manifestement dérisoire voir de défaut de prix.

                       

La jurisprudence considère que la vente est nulle quand le montant mensuel de la rente est inférieur ou égal aux revenus que procureraient le bien aliéné (sa valeur locative) ou au montant des intérêts du capital auquel est évaluée la chose.

                       

Ainsi il ne faut pas  fixer la rente à un prix totalement dérisoire par-rapport à la valeur vénale de l’immeuble, et là la jurisprudence sanctionne plus des sortes de donations déguisées à des proches que le « vendeur » souhaite grati er, en éludant les droits de donation... C’est toutefois toujours à la date où l’acte est signé qu’il faut se placer pour véri er cette valeur, et il n’y a donc pas de risque de remise en cause du contrat si un terrain initialement non constructible le devient par la suite.

                       

La règle de base à retenir est donc de s’assurer que les revenus que pourraient procurer le bien sont bien inférieurs au montant de la rente. 

                       

Une fois signé valablement le contrat, peut-on regretter ?
La réponse est négative ! Sauf accord des parties bien sûr.

                       

L’acheteur ne peut proposer de restituer le bien à son vendeur, même si celui-ci conserve les rentes déjà versées, et il peut être poursuivi sur ses biens jusqu’à extinction de sa dette c’est-à-dire jusqu’au décès du béné ciaire de la rente.

                       

En contrepartie, sauf si on prend la précaution (ce qui est souvent le cas) d’insérer dans le contrat une clause résolutoire en cas de non-paiement de la rente, avec inscription hypothécaire sur le bien le seul défaut de paiement de la rente n’autorise pas le vendeur à récupérer son bien.

                       

Il lui reste évidemment dans ce cas, comme pour tout créancier, la faculté de saisir les biens de son acheteur, de les faire vendre et faire ordonner ou consentir sur le produit de la vente une somme suf sante pour sa rente.

                       

J’espère que cet article vous aura éclairé sur le viager, son fonctionnement, les précautions à prendre, en gardant à l’esprit que dans la grande majorité des cas les gens s’engagent de bonne foi et ne rencontrent aucune difficulté.

                       

Longue vie à tous !